Jonas, prophète pour notre temps
Jonas, prophète pour notre temps

Jonas, prophète pour notre temps

En ces temps troublés, on attendait la cérémonie d’ouverture d’une fête unissant les hommes autour des belles valeurs du sport. Je ne reviendrai pas sur la condamnation unanime d’une cérémonie d’ouverture au militantisme virulent, et très fortement déplacé, pour rester dans le domaine de la litote…

Qu’ajouter à ce qui a déjà été dit avec force par tant d’autres? 

Car certains influenceurs catholiques ont tenu rapidement des propos à la fois énergiques et mesurés. Il fallait affirmer la gravité de cette parodie outrancière agressive et très provocante de la sainte cène, pour ne citer que le tableau le plus choquant. Il fallait aussi dire clairement que les catholiques ne sont pas des paillassons sur lesquels on peut s’essuyer les pieds. 

Il y a sans doute plus grave encore que le tableau proprement dit.  C’est ce qu’il révèle de l’état véritable de notre pays. D’une part, ce tableau terrible a pu avoir lieu, d’autre part la majorité des français n’ont pas été si choqués que ça, comme le révèlent certains sondages.

Comment prendre un peu de recul dans ce contexte?

Le livre de Jonas est un récit symbolique biblique très surprenant, car il parait complètement invraisemblable. Il est en fait très réaliste parce qu’il révèle l’âme humaine et la volonté de Dieu. Il peut donc nous aider à comprendre un contexte énigmatique, que notre seule raison pourrait avoir du mal à appréhender.  Jonas et ceux qu’il rencontre vivent en effet, comme si tout était naturel, dans un cosmos nimbé de mystère.  Nos ancêtres en connaissaient les linéaments, car c’était souvent la condition de leur survie. Nous en avons aujourd’hui perdu la trace. Ce récit montre les conséquences pratiques  très graves de la révolte contre Notre Seigneur, ou tout simplement contre la nature, en nous faisant mesurer la force destructrice des éléments, lorsque l’ordre cosmique a été comme bouleversé, par une transgression majeure. 

Il révèle aussi la vraie miséricorde de Notre Seigneur, mais d’une façon qui écarte à priori toute vision facile ou réductrice de cette notion aujourd’hui souvent galvaudée…

Je dois recommander ici  un très bon livre écrit par un moine Bénédictin, le frère David Marc D’Hamonville aux éditions du Cerf, qui m’a largement inspiré et dont je vous recommande bien sûr la lecture.

Jonas est un tout petit prophète, et le livre de Jonas, un des plus courts de la bible, ressemble à un conte invraisemblable. Il s’agit en fait d’un “Mashal”, ou parabole en hébreux, qui est avant tout un récit symbolique. 

Après avoir reçu l’appel de Dieu “va à Ninive”, Jonas refuse de s’y rendre. Il devait demander à cette ville très puissante et ennemie d’Israël de se convertir. C’est une demande propre à désarçonner n’importe qui.  Qu’aurions nous fait à sa place en recevant cet appel, surtout à notre époque si “raisonnable”? Nous l’aurions sûrement imité, ce qui rend d’ailleurs sa figure très actuelle, Jonas s’enfuit donc vers l’Espagne (Tarsis dans le texte). Puis il est avalé par un poisson, adresse une prière à Dieu dans le ventre de celui-ci, car il n’est pas mort dans l’estomac du requin ou du cachalot, est recraché par le poisson sur la côte, parvient finalement à Ninive, annonce la parole de Dieu aux Ninivites qui se convertissent, ce qui d’ailleurs lui déplait, car ce sont tout de même des ennemis d’Israël…Finalement Dieu l’emmène à l’écart, fait pousser en un jour un buisson de Ricin pour lui donner de l’ombre, puis dessèche le buisson tout aussi vite, ce qui contrarie encore plus notre prophète. Dieu lui pose alors une question sur laquelle se termine le livre. Tu t’es attaché à ce Ricin qui t’a donné un peu d’ombre? Et bien moi, je me suis attaché aux habitants de Ninive. Comprend donc pourquoi je les ai épargnés. Il s’agit ici d’un appel à l’humilité et au pardon, vraie clé de lecture de ce récit. Mais tout ce qui précède (notamment la tempête) doit aussi nous inviter à comprendre la force des éléments, notre inconséquence, et la gravité autant que la profondeur du mystère du mal. 

Ce récit non dénué d’humour est d’une très grande force symbolique. D’ailleurs jésus l’évoque comme une figure de sa mort et de sa résurrection. Il me parait vraiment une prophétie pour notre temps.

Si on cherche des repères historiques, on pourrait le dater vers 783 avant JC, à une époque où Ninive était l’ennemi du royaume d’Israël, et envahira finalement le royaume du nord, avant que finalement tous les Israélites soient conduits en exil à Babylone.

Le livre est rempli de paradoxes. Jonas, dont le nom signifie “paix”, sous la forme d’une colombe est en fait assez mesquin au début du récit, et très dur à la comprenette vers la fin… Il est fortement charpenté autour de 4 épisodes:

Ch1: jonas dans la tempête

Ch2: Jonas dans la baleine.

Ch3: Jonas à Ninive.

Ch 4 Jonas et le ricin.

Allons un peu plus aux détails du tableau un peu fantastique qui nous est proposé.

Le récit commence donc (premier épisode) sur l’ordre de Dieu adressé au prophète de se rendre à Ninive. Jonas se dit qu’il s’agit certainement d’une très mauvaise affaire et s’embarque immédiatement…pour l’Espagne (Tarsis dans le texte) donc dans une direction opposée. On peut comprendre que les Ramblas de Barcelone (où on peut déguster d’excellents jus de fruits), paraissent paraissent préférables à la poussière de Mossoul, qui héberge ici les ennemis d’Israël…

Jonas, assez inconscient d’ailleurs, s’endort paisiblement au fond du bateau, et la tempête se lève. Les marins effrayés prient leur Dieu et rien ne se passe. La tempête soufflant encore plus fort, ils se disent qu’il doit y avoir un “Jonas” à bord, ce qui signifie “porte poisse” en argot de marin. 

Ils dénichent finalement Jonas, toujours endormi dans sa cabine et lui demandent de prier son Dieu pour apaiser la tempête. Jonas avoue alors son forfait. Il a fui dans la direction opposée après avoir reçu du Seigneur l’ordre de se rendre à Ninive. Il propose donc aux marins de le jeter par-dessus bord pour qu’au moins eux puissent s’en sortir. Finalement après avoir offert un sacrifice au seul vrai Dieu, celui de Jonas, qui apparaît clairement comme le tout Puissant, ils consentent à jeter Jonas par-dessus bord. Celui-ci est avalé par un gros poisson, mais ne meurt pas…Et la tempête s’apaise. Fin du premier épisode.

Abordons maintenant le deuxième épisode: Jonas est dans le ventre du poisson. 

L’estomac du poisson est bien sur une image du Shéol, et Jonas, dans cette situation critique, adresse à Dieu une prière d’une grande familiarité et d’une grande confiance, d’autant plus étonnante, qu’il est tout près de la mort…

Nous nous en souvenons aujourd’hui en récitant le cantique de Jonas.

Dans ma détresse, je crie vers le Seigneur,

et lui me répond ;

du ventre des enfers j’appelle :

tu écoutes ma voix.

Tu m’as jeté au plus profond du cœur des mers,

et le flot m’a cerné ;

tes ondes et tes vagues ensemble

ont passé sur moi. 

Et je dis : me voici rejeté

de devant tes yeux ;

pourrai-je revoir encore

ton temple saint ? 

Quand mon âme en moi défaillait,

je me souvins du Seigneur ;

et ma prière parvint jusqu’à toi

dans ton temple saint. 

Ici il faut relever un aspect très important qui est la crainte révérencielle.

  • Celle des marins adressant des prières au tout puissant dans la tempête
  • Celle de Jonas dans l’estomac du poisson qui symbolise le Shéol.

Cette crainte soulignée par les paroles de Jonas: “C’est le seigneur que j’adore, moi, celui qui a fait la mer et la terre sèche”.

Et c’est bien l’absence de crainte révérencielle de la part des différents protagonistes de l’incident français récent lors de la cérémonie d’ouverture des JO (acteurs et témoins), qui peut sans doute nous inspirer une inquiétude légitime pour l’avenir… 

Il s’agit d’ailleurs d’une caractéristique de notre époque. La perte du rapport à la réalité, et l’ancrage dans le mensonge de l’idéologie, peut faire complètement déraper ceux qui oublient le Seigneur, et ignorent en premier lieu leur condition de créature.

Un autre aspect doit être ici souligné fortement: La force des éléments, et le sacrifice du prophète qui est jeté à la mer. Nous sommes ici devant une image du grand mystère du mal, et du sacrifice parfait de notre Seigneur, seul capable d’apaiser la tempête. Cette image très puissante a beaucoup inspiré la littérature. Pensons à la force de la tempête dans Moby Dick, et au visage halluciné du capitaine Achab, ou à l’inconséquence de Pinocchio qui ressemble tellement à celle de Jonas. 

Ce petit texte si curieux ouvre décidément bien des portes pour s’approcher du grand mystère du mal et du salut par la croix.

Finalement, Jonas est recraché vivant par le poisson, échoue sur la côte, et se rend à Ninive où il délivre le message que Dieu lui a demandé de transmettre. Fin du deuxième épisode de notre récit.

Abordons le troisième épisode sur la proclamation de Jonas à la ville de Ninive:  “Encore 40 jours et Ninive sera détruite”.

Les Ninivites prennent cette parole très au sérieux et se convertissent. Du coup, la prophétie de Jonas ne se réalise pas et Ninive est épargnée. Jonas est en fait contrarié car il a l’impression d’être déjugé, et n’a pas compris le vrai sens de l’appel qu’il devait adresser à Ninive: la conversion pour obtenir la miséricorde, qui est en réalité le désir le plus profond de notre Seigneur.

Encore une fois faisons un parallèle avec la situation actuelle. La réaction de crainte révérencielle des Ninivites résonne comme un appel rempli d’inquiétude pour notre époque un peu folle. Qui aujourd’hui va déchirer ses vêtements et couvrir son visage de cendre? Nos rois et nos chefs? Laissons cette question résonner vers le nuage de l’internet, c’est Dieu qui a la réponse, nous, nous ne l’avons pas, mais nous avons le droit d’avoir des craintes pour le présent…et des inquiétudes pour l’avenir

Comme l’a fait Jonas, nous pouvons aussi être tentés de condamner les Ninivites, et de ne pas apporter le message du salut à ceux qui d’ailleurs sont vraiment nos ennemis, et qui l’ont prouvé. il nous faut donc à la fois parler, le mépris n’est pas suffisant, et aussi éviter la naïveté…Un homme miséricordieux n’est pas un agneau à tondre. 

Car il y a ici un piège dangereux qu’il s’agit de bien identifier : celui qui condamne peut devenir l’accusateur des pauvres, et rallier de ce fait le Malin qu’il s’agissait de combattre…

Notre Seigneur, dans sa patience, veut aider Jonas à le comprendre. Voici donc le quatrième et dernier épisode: celui du ricin qui fleurit en un jour et donne de l’ombre à Jonas qui observait Ninive de loin. Celui-ci en est très satisfait (il y a des icônes anciennes très drôles montrant la tête de Jonas émergeant du buisson, et regardant Ninive). Mais le lendemain de sa floraison, le ricin meurt brutalement. Et Dieu s’adresse à Jonas en lui disant. Tu t’es pris de pitié pour ce buisson, comprends donc que j’ai eu pitié des habitants de NInive. Dieu veut en fait aider le prophète à rentrer en lui-même pour découvrir le vrai visage du créateur, soucieux de préserver toute vie, et d’abord celle des pauvres habitants de Ninive…

Cet épisode du ricin qui fleurit et qui meurt le lendemain est d’ailleurs aussi une image assez forte de la précarité de notre existence. La vie est fragile, et le mal a de vraies conséquences…

Le Seigneur dit à Jonas qui doit s’adresser aux Ninivites: “annonce leur que leur méchanceté est montée jusqu’à moi”. Il y a donc eu un grand mal, et le sens de la réalité cosmique des Ninivites leur permet de le comprendre et de se repentir. Jonas, lui,  ne comprend pas qu’il est lui aussi menacé par le refus du pardon et de la miséricorde. L’épisode du ricin résonne donc comme un appel à descendre au fond de soi, et à prier Dieu pour approcher vraiment de son mystère, qui est d’abord celui de la petitesse, du retrait, de l’enfance.

Devant le mystère du mal, il me faut suivre le Christ qui a remporté pour moi la victoire de la croix, sachant que témoin se transformera peut-être en martyr, mais sans goût morbide pour l’auto destruction, comme le montrent si bien le très beau film sur les moines de Tibhirine, ou la pièce de Bernanos , “Dialogue de Carmélites”. Le programme n’est pas très affriolant, c’est très clair…Mais il me faut peut être l’envisager aujourd’hui.

Ce petit conte biblique a eu une postérité foisonnante. D’abord dans les évangiles où Jésus le cite à plusieurs reprises comme une prophétie de sa mort et de sa résurrection. De façon étonnante, il est aussi très cité par les commentaires rabbiniques, qui décrivent Jonas comme une figure d’Adam, le premier homme, et même par le Coran qui dans la sourate 10 fait écho à l’appel à la conversion du prophète Yunus”. (D’ailleurs la sourate est rédigée comme si les auditeurs étaient censés connaître la bible, ce qui ouvre bien des perspectives. Je vous invite pour en savoir plus à aller sur le site “le messie et son prophète”). Soulignons d’ailleurs que les habitants chrétiens de Mossouls, héritiers des Ninivites, ont jeûné et prié pour la France, après avoir visionné notre “performance” du 26 Juillet dernier.

Je voudrais finir sur deux extraits littéraires, car le récit biblique a eu une grande postérité dans notre littérature tant sa force symbolique peut nous inspirer. Commençons par le roman Moby Dick, d’Herman Melville. Le capitaine Achab  emmène son équipage à la poursuite d’un grand cachalot qui a tué un de ses amis lors d’une précédente chasse à la baleine. Il s’agit en fait d’un combat contre l’ordre cosmique, qui est aussi celui de notre époque troublée. Tous le suivent dans cette aventure épique et folle, jusqu’à la catastrophe finale et le grand naufrage 

Celui qui raconte cette histoire, et a survécu pour le raconter  s’en fait le témoin: 

“Moi, Ismahel, j’étais l’un deux ; j’étais un des hommes de cet équipage. À leurs cris s’étaient mêlés mes cris ; à leur serment, mon serment s’était joint. Et d’autant plus fort avais-je crié, d’autant plus puissamment avais-je martelé et rivé mon serment que l’épouvante était dans mon âme. Mais un sentiment de furieuse sympathie m’emportait : la haine inassouvie d’Achab était la mienne, et c’est d’une oreille avide et passionnée que j’appris l’histoire du monstre meurtrier contre lequel nous avions prononcé, tous les autres et moi, nos serments de violence et de vengeance

Jean Grosjean, le poète, évoque lui aussi la figure du petit prophète en qui chacun peut se reconnaître, car il est une figure du petit homme ou de l’enfant parfois boudeur que chacun est un peu resté…Cet enfant boudeur peut déchaîner des cataclysmes naturels lorsqu’il ignore l’appel de Dieu qui est aussi celui de notre mère nature.

Jonas a craint d’aimer Ninive. Il s’est voulu patriote et moderne contrairement à sa nature. Il s’est mis à se méfier de sa nature, à la fuir.

Alors il a trouvé que le temps se mettait au beau comme un soleil qui apparaît sur le coup de cinq heures du soir, après les averses de la journée.

Le ciel avait été brouillé depuis le matin. Des nuées stagnaient sur la campagne et par instants crevaient en grêle sur les vignes en fleur. À peine, si semblait se préparer une trouée de lumière que déjà se reformait l’obscur plafond.

Le tonnerre roulait au loin avec nostalgie comme un chant de huppe aux lisières. C’était presque la nuit en plein jour, mais l’orage restait insaisissable.

Jonas avait trouvé la journée insipide. Mais soudain il s’était décidé à aller contre son âme. Et alors le soleil du soir s’était montré.

Puissions nous devenir des instruments de la douce et forte paix de notre Seigneur, en écoutant la grande question posée à Jonas à la fin du récit biblique. La prière de St François résonne comme une réponse du grand saint à cet appel.

« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union.
Là où est l’erreur, que je mette la vérité.
Là où est le doute, que je mette la foi.
Là où est le désespoir, que je mette l’espérance.
Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.
Là où est la tristesse, que je mette la joie.

O Seigneur, que je ne cherche pas tant à
être consolé qu’à consoler,
à être compris qu’à comprendre,
à être aimé qu’à aimer.

Car c’est en se donnant qu’on reçoit,
c’est en s’oubliant qu’on se retrouve,
c’est en pardonnant qu’on est pardonné,
c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie. »

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